Un héritage à vendre

L’écriture de Valentin Decoppet est une tentative audacieuse. L’auteur-traducteur ose ne pas traduire dans son premier roman. Il laisse ses lecteurs.rices face à des dialogues en suisse-allemand et présente de cette manière une expérience qui s’inscrit dans un patrimoine culturel suisse. Et en même temps, sa plume essaie de s’en distinguer. Afin de comprendre ce jeu entre une mémoire culturelle et une rupture avec les attentes poussiéreuses, il faut entrer dans les pages du roman et se laisser absorber par les mots qui dessinent peu à peu un village lointain, un village oublié dans les montagnes suisses qui soudain pousse un cri lorsque deux personnes sont trouvées fusillées dans une ferme. Un cri qui résonne en écho dans la solitude et qui est englouti par la grande paroi rocheuse. Decoppet s’aventure à l’escalader, à pieds nus. Mais la montagne pieds nus, c’est risqué. L’auteur se trouve donc face à cette masse de pierre rigide, codes implicites du polar, et s’essaye à la sculpter, jeune Pygmalion inexpérimenté.

L’identité du coupable est révélée au milieu du récit intitulé Les Déshérités. Et après ?

Après, les lecteurs.rices s’écartent du sentier de randonnée pédestre en suivant quelques papillons péniblement gardés en vie. Des papillons qui virevoltent hors du livre en direction de la ville, face à un énorme bloc de béton. Ce bloc, c’est une institution, gardienne du style. Elle le forme, modèle, taille, polit et l’expose en vitrine. Inatteignable et intouchable. Le roman de Valentin Decoppet apparaît parfois comme une succession de contraintes stylistiques, une application parfaite de critères canoniques. La lecture s’en trouve distanciée. L’institution s’infiltre et impose sa présence au fil des pages. Où est notre auteur ? Son cri à lui ? Ses mots qui résonnent dans l’écho des monuments ?

Ce roman est un début. Une expérience intime au cœur de la Suisse, ancrée dans le plurilinguisme et parsemée d’helvétismes. Une création qui tente de se départir du joug de la tradition polaresque et s’essaie à désacraliser l’intrigue. Une création qui, pour l’instant, reste un cri dont l’écho est englouti par la présence gigantesque de la roche mère. 


Valentin Decoppet, Les Déshérités, Sainte-Croix, Bernard Campiche, 2021, 176 pages, 28 CHF.

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