Les éditions Zoé nous présentent Grains noirs de l’auteur tessinois Alexandre Hmine. Un saupoudrage de souvenirs à déguster pour la première fois en français.
Grains noirs, Milchstrasse, La chiave nel latte, autant de titres différents au gré des traductions, se répondant, reflétant chacun une autre facette du roman ; autant de langues parsemant les pages, en y ajoutant le dialecte tessinois, l’arabe ou le latin. Quelque chose qui n’est pas fixe, qui peut varier, comme un souvenir, comme une interprétation, comme les fragments que nous propose Alexandre Hmine sur son parcours, des éclats non datés, non situés, que le lecteur, activement, doit replacer dans le puzzle pour faire avancer la biographie du personnage.
Ce personnage est un jeune garçon qui devient homme au fil des pages, un garçon qui a été confié à sa naissance à « l’Elvezia », une vieille dame habitant un village tessinois, car sa mère marocaine très jeune ne pouvait pas s’en occuper. Il grandit donc comme un enfant du coin, avec le dialecte, le carnaval, les parties de hockey. Lorsque sa mère réapparaît, son univers doit alors composer avec des voyages au Maroc dans une famille qui parle une langue inconnue, avec des interdictions religieuses et une nourriture différente. Alors qu’il doit quitter l’Elvezia, c’est pour lui une deuxième immigration qui commence, vers la plaine et l’âge adulte, un long chemin pour trouver sa place dans la société, entre deux identités qui chacune veut se l’approprier.
Cette quête de soi et cette indécision le poursuivent durant sa jeunesse et ses études, entraînant les lecteurs et lectrices dans ses tentatives et ses échecs. On est emporté dans sa vie, bon gré mal gré, parfois en voulant une pause, la respiration d’une fin de chapitre qu’on attend en vain. Cette recherche d’identité, c’est un marathon, et on reste parfois un peu sur sa faim : il n’est pas toujours aisé de s’attacher au personnage qui, de manière pudique, dévoile peu ses émotions, reste très descriptif. Les envolées en italien, les mots arabes parsemés rendent le texte plus vivant.
Il reste cependant touchant, cet enfant qui grandit bercé par les accents du dialecte mais qui se trouve toujours confronté à ses origines. L’adolescence ingrate fait remonter des sourires, tout comme la fuite dans la littérature italienne semble familière. Les remarques racistes sont distillées au fil des pages, d’autant plus violentes qu’inattendues, rappel incessant que ce petit garçon n’est pas comme les autres. Les injonctions religieuses de la mère, ses tentatives désespérées de nouer un lien avec ce fils qu’elle ne connaît que peu, sa maladresse étouffante illustrent également la difficulté d’une femme à faire face à une situation relationnelle compliquée avec son enfant. C’est elle qui amène la distorsion du récit, cette envie d’initier un jeune suisse à ses origines marocaines, ce besoin de se le réapproprier après une enfance loin d’elle. Peut-être est-ce elle, finalement, le personnage principal, en filigrane.
L’auteur Alexandre Hmine ne cache pas sa ressemblance avec le protagoniste du livre. Dans ce premier roman, qui a reçu en 2019 le Prix suisse de littérature et le prix Studer/Ganz, le Tessinois semble achever sa quête d’identité en interrogeant par l’écriture sa différence, ses identités et leurs interactions, les rapports avec sa mère et les valeurs assimilées durant son enfance. La traductrice Lucie Tardin nous facilite le plongeon dans ce mélange de cultures en laissant l’auteur s’exprimer dans les différentes langues qui ont influencé son parcours. Car c’est finalement à travers cette diversité et cette complexité qu’Alexandre Hmine nous partage le mieux ses doutes, ses espoirs, ses tentatives et le chemin qu’il finit par choisir.
Alexandre Hmine, Grains noirs, trad. Lucie Tardin, Chêne-Bourg, Éditions Zoé, 2022, 288 p., 30 CHF