Un jardin dans le sable

L’épouse, le nouveau livre d’Anne-Sophie Subilia, fascine avec son style fin et lyrique. On admire les observations précises, comme dans la description détaillée des mains du jardinier : « Elle cherche du regard les mains de l’homme. L’une d’elles est restée cachée sous le caftan, mais l’autre se laisse entrevoir. À l’embouchure d’un poignet étroit se déploie une main raffinée, qui semble faire l’objet de soins et se ramifie en cinq doigts juvéniles, assombris au niveau des phalanges. Les ongles sont roses. »

Tout au long du roman, l’auteure peint l’histoire d’une femme qui se réduit d’abord à une fonction : celle d’épouse. Si son nom, Piper Desarzens, n’est mentionné qu’au bout de plusieurs pages, c’est que la femme est rarement appelée ainsi. Elle est surtout connue pour être la femme du délégué : « La femme du délégué n’a pas de mission spécifique. Elle accompagne. Elle n’a pas la responsabilité des opérations, ni l’adrénaline ni les fatigues. […] Elle a le farniente si elle le souhaite. » Et c’est ce « farniente » qui guide le lecteur et la lectrice lorsqu’ils découvrent avec l’épouse son nouveau chez soi en Gaza. Elle doit s’accoutumer à une vie totalement différente de celle qu’elle a menée en Europe. Le délégué, quant à lui, s’appelle Vivian. Il travaille pour la Croix-Rouge et a pris ses fonctions en janvier 1974. C’est pour lui que sa femme a quitté son entourage familier, pour lui qu’elle s’est embarquée dans une aventure d’une année.

Dans leur maison de fonction, c’est le sable qui règne. La maison est remplie de sable et entourée d’un jardin de sable. « La maison, c’est comme si elle avait émergé du sable sous la forme d’un cube et qu’elle s’était durcie naturellement à l’air. Elle est sable et celui-ci entre par tous les côtés. » Les journées de la femme s’y écoulent lentement. Prisonnière de la solitude, son obsession de propreté s’affaiblit peu à peu, et elle renonce à faire disparaître cet inéluctable sable, sauf dans le jardin. Heureusement, il y a Hadj, qui vient de temps en temps avec sa carriole tirée par un âne pour refaire du jardin envahi par le sable un vrai jardin. Les rencontres hebdomadaires au Beach Club avec les autres étrangers sont une autre touche d’espoir. Là, elle n’est pas l’objet de curiosité et d’étrangeté comme aux yeux des Palestiniens.

Piper fuit tout engagement sur cette terre en souffrance. Elle cherche juste à échapper à l’insignifiance de sa propre existence en essayant de trouver quelqu’un qu’elle pourrait aider, en donnant de l’amour à une orpheline, en retrouvant un prisonnier, en offrant des crayons à une écolière. Tentatives dérisoires, pour la plupart vouées à l’échec. Mais à force de tâtonnements, de patience et de temps, elle finit par se retrouver dans sa nouvelle vie. Et c’est alors qu’elle prend conscience qu’il faut du temps pour qu’un jardin pousse autour d’une maison de sable.


Anne-Sophie Subilia, L’Épouse, Chêne-Bourg, Éditions Zoé, 2022, 224 pages, 26 CHF

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