Dans le clair-obscur du sacrifice

Dans son nouveau roman, Willibald, Gabriella Zalapì nous offre un terrain de jeu pour déceler le clair-obscur d’une peinture et d’une famille. Mais qui est donc Willibald, entrepreneur et collectionneur juif, l’homme qui a « pour ambition de s’installer dans l’image » ? 


C’est dans le petit abri de pierre qui borde la maison toscane d’Antonia, mère de Mara, au milieu des cartons et des habits, que Mara parvient à retracer l’exil de son arrière-grand-père, Willibald. Un musée viennois a pris contact avec les deux femmes : le directeur souhaite leur restituer des objets de cet aïeul à l’existence mouvementée. Ce sera l’occasion de plonger dans le passé et de raviver une énigme déjà ancienne : 26 ans plus tôt, Antonia prenait la décision de vendre aux enchères le Sacrifice d’Abraham, peint par un élève de Rembrandt. Cette toile était le patrimoine et le legs de Willibald qui avait pris soin de la plier et de la glisser dans sa valise en fuyant Vienne, en 1938, lors de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne. Enfant, Mara passait des heures à observer ce tableau, à s’y perdre, entre fascination et perplexité. Quel secret dissimulait-il dans ses ombres ? Cédée au plus offrant, la toile lui manque, elle veut suivre sa trace en elle et le long de son histoire familiale.

L’autrice rythme son roman par des détails du Sacrifice, permettant aux lecteurs d’accompagner les mots d’une plongée intime dans les images. Également plasticienne, Gabriella Zalapì compose cette fresque par un assemblage de photographies, de références, de récits individuels et de lettres. Dans une langue à la fois poétique et précise, donnant à sentir combien certaines représentations « deviennent des organes », Zalapi nous dépeint un tableau vivant dont le premier plan est relié à l’enquête sur l’identité de Willibald, alors que l’arrière-plan s’intéresse à la relation parfois difficile d’une mère et sa fille : dans l’orbite de cet ancêtre, c’est toute une lignée de femmes qui se dévoile.

Au fil des pages, Zalapì nous invite ainsi à questionner les objets qui nous entourent et ce qu’ils révèlent de nos récits intimes : « à chaque objet se rattache le prénom d’un ancêtre, une origine, une histoire ». Les liens familiaux s’écrivent peut-être toujours dans les marges de ce qui est montré, dans le détail ténu d’une scène, nourris par les silences et les non-dits. Jouant au funambule entre les archives et la fiction, Willibald est un beau roman sur le secret des images qui habillent nos murs et peuplent nos intérieurs.


Gabriella Zalapì, Willibald, Chêne-Bourg, Zoé, 2022, 160 pages, 26 CHF.

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