Avec L’Épouse, Anne-Sophie Subilia nous embarque pour Gaza, en 1974. Dans ce paysage désertique, des questions incisives se dressent devant nous.
Un jeune couple vient de se marier. Lui, suisse, est délégué de la Croix-Rouge, en mission pour un an à Gaza. Il visite des prisons pour évaluer les conditions de vie des détenus. Mais c’est sur sa femme que se dirige l’attention du roman. Elle est anglaise, s’appelle Pieper. Son rôle : être l’épouse du délégué. Sa journée consiste surtout à attendre le retour de son mari. Tenir la maison en ordre, être là pour lui, quand il arrive, lui préparer à manger, l’écouter raconter ses impressions.
Or, chaque jour, le sable reprend ses droits dans la maison. La femme du délégué fait ce qu’elle peut pour s’en débarrasser, ne cesse de balayer. Mais en quelques heures, il sera de nouveau là, rapporté par le vent. Pieper est en proie à un fort sentiment d’inutilité. Pourtant, souvent c’est elle qui guide son mari, qui a besoin de s’appuyer sur la spontanéité et le courage de son épouse.
Au fil des pages, Pieper est habituellement désignée par « la femme ». Peut-être parce que c’est le cœur de son identité – être l’épouse – et que c’est cela qui est attendu d’elle. Ou parce qu’elle représente le destin de tant de femmes ? Un jour, Pieper chantonne un air de femme de marin. Elle se demande : « Échappe-t-on au sort ? » Elle murmure, « on est toutes des femmes de marin, en somme. » Attendre son retour. C’est le rôle qu’on a longtemps voulu donner aux femmes, et encore aujourd’hui. Mais est-ce celui qu’elle décidera d’endosser ?
La confrontation de Pieper, Européenne au caractère bien trempé, avec la population locale est parfois rude. Le décalage entre son train de vie et celui de la grande majorité des femmes gazaouies lui fait expérimenter incompréhension et solitude. Mais elle s’accroche, cherche du lien, des rencontres, qui donnent sens à ses journées : un vieux jardinier, qui met tout en œuvre pour que leur jardin verdisse ; une fillette, qui habite avec sa famille dans une cabane de pêcheurs, où elle respire une paix inattendue ; une médecin cheffe de service, dont le charisme et le choix de vie stimulent sa soif de liberté.
Si son rôle est d’être « l’épouse », qu’en est-il de la relation avec son mari ? « J’en ai marre. De tout, d’être seule, des gens, de toi. Je n’en peux plus de nos privilèges. » Son mari la comprendra-t-elle ? Comment sortir de l’impasse ?
Anne-Sophie Subilia, romancière et poète habitant Lausanne, parvient dès le début, avec une écriture sensible et forte, à nous envoûter par les odeurs et les couleurs de Gaza. Ce roman nous fait séjourner dans cette parcelle du monde faite de contrastes. Des pages précieuses qui renvoient à notre quotidien et à ses écueils. Comme le sable, la routine risque de nous enliser, de nous faire perdre nos rêves. Cette lecture nous ouvrirait-elle les yeux aux trésors enfouis dans l’ordinaire ?
Anne-Sophie Subilia, L’Épouse, Éditions Zoé, 2022, 224 p., 26 CHF