Dans l’intimité d’un passé dérangé

Dans Les Quatre Sœurs Berger, Alice Bottarelli décortique un passé douloureux d’une manière surprenante. À 1200 mètres d’altitude, elle nous fait entrer dans le chalet de la famille Berger, toujours encerclé par une aura de sévérité.

Il est temps de dépoussiérer cet ancien foyer, chargé de pensées. Dominique, Isabelle, Madeleine et Virginie – les quatre sœurs Berger – s’apprêtent à trier les affaires de leurs parents, tous deux décédés. Émanant d’objets côtoyés pendant des années, des souvenirs les propulsent tour à tour dans des événements passés. Découvrir chaque détail, chaque anfractuosité, chaque secret sciemment gardé… on se sentirait presque gêné·e·s d’être convié·e·s à partager tant d’intimité ! En plus de cela, la lecture de chaque début de chapitre nous demande une certaine concentration : les protagonistes apparaissent souvent anonymes et la temporalité est effacée. Sous nos yeux, l’histoire des quatre sœurs Berger se voit ainsi tissée, enchevêtrée, entremêlée. Récit foisonnant et dédalique, on risque parfois le trop-plein d’informations, sans véritable finalité.

Ce va-et-vient incessant entre l’enfance et le présent finit heureusement par électriser le passé et réveiller les drames de la famille Berger. Prenant tout d’abord la forme d’un nébuleux « brouillard de terreur », ces derniers deviennent de plus en plus prégnants, jusqu’à ce que les personnalités des quatre sœurs commencent à s’entrechoquer. Et quelle stupéfaction de voir, là où on ne s’y attendait pas forcément, des pulsions s’enflammer avec une telle vivacité ! Ces implosions revigorent le récit et donnent de l’éclat à l’héritage de la famille Berger, jusqu’ici présenté comme ankylosé. Face à une telle frénésie, on ne peut s’empêcher de prendre – non sans une certaine satisfaction – le rôle d’un·e détective-psychologue, chargé·e de pénétrer dans la psyché de ces personnages déboussolés…

En plein milieu de ces quatre passés névrosés, Alice Bottarelli a l’ingéniosité d’introduire une cinquième voix, cette fois-ci poétique. Frôlant avec le mystère et faisant fi des drames, cette dernière donne de la profondeur au récit et va jusqu’à brouiller certaines de nos pistes de lecture. Chercheuse en lettres et spécialiste de l’humour en littérature, Alice Bottarelli a le don de tordre encore plus nos interprétations, en joignant un faux manuel parodique à chaque exemplaire des Quatre Sœurs Berger. En plus de nous faire sourire, quelles sont les parts de vérité dans ces affirmations pour le moins ironiques ? Entre absence et excès de sens, Les Quatre Sœurs Berger nous plonge définitivement dans une délicate complexité ! 


Alice Bottarelli, Les Quatre Sœurs Berger, Vevey, Editions de l’Aire, 2022, 248 pages, 25 CHF

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