Comme d’(extra)ordinaire 

Le livre de Jérémie Gindre, je l’ai mis dans mon sac pour le lire dans le train, et c’est comme si, sans le savoir, j’avais voulu en être l’une des protagonistes. Car dans Tombola, les héroïnes sont des femmes comme vous, comme moi, en voyage souvent, en quête peut-être : non pas d’un trésor inaccessible, à peine d’une réponse, bien plutôt d’une expérience. 

Zita, Willa, Espe, Anna, Joanne, Saskia, et Cherline. Sept femmes pour sept nouvelles, et dans mon train le paysage défile : la France, l’Angleterre, la Suisse, le Québec, autant de lieux où l’on ne fait pas que passer : on y fait escale, on s’y arrête, on s’y installe. En effet, Jérémie Gindre prend le temps de poser le décor. Et cela commence par les personnages.  On les découvre la plupart du temps hors de la routine de leur quotidien : parties en randonnée ou en vacances, revenues pour un instant au chalet familial ou auprès d’un père longtemps perdu de vue. Le tour de force de l’auteur, c’est qu’en mettant en scène ses personnages dans des situations inhabituelles, il trouve en fait le moyen de montrer leur consistance. En seulement quelques pages, on a l’impression de connaître leurs habitudes, de comprendre intimement leurs caractères, ce qui les forge, les lasse, les anime, et surtout ce qui les a poussés à prendre, le temps de la nouvelle, l’initiative de partir. Et le chemin n’est pas que physique, il est aussi, parallèlement, le chemin d’une pensée qui part à sa propre recherche. État du monde et états d’âme se répondent, la réflexion et le parcours se meuvent au gré de la météo, n’échappant pas à la loi du changement. 

Dans Tombola, chaque recherche se borne au présent et à sa contingence. Mais elle n’est pas vaine, car ce qu’on cherche n’est peut-être pas ailleurs que devant nous, ici et maintenant, ou même en nous. Partir permet de s’en rendre compte : s’éloigner c’est toujours mieux (se) trouver. 

L’écriture de Jérémie Gindre est réaliste : pas de dramatisation artificielle, de personnages héroïques, de rebondissement improbables et de retournements passionnants. Le langage est simple mais soigné, il est efficace. Le ton du narrateur, ou celui des personnages, rendu par le discours indirect libre, est teinté d’un humour pince-sans-rire, qui vient rappeler à chaque instant le cocasse de la vie. 

Tombola, comme son nom l’indique, nomme et contient les jeux que Jérémie Gindre provoque entre l’ordinaire et l’extraordinaire, entre le hasard et le tout-tracé. L’extraordinaire se cache dans le réel, et même sous l’ordinaire, tout comme le hasard est partout, simple résultat du jeu d’influences infini des êtres avec les choses et avec le temps. Tombola rappelle comment le passé teinte le présent, comment la relation aux autres conditionne celle que l’on a à soi, et comment l’environnement fonde l’être au monde. Le dialogue entre les éléments est incessant et rend compte de la complexité irréductible de la réalité, même la plus ordinaire.

Le soir où Anna remporta un jambon à la place d’un téléviseur quarante pouces dans une tombola, un homme qu’elle connaissait à peine lui cassa une dent sans faire exprès.


Jérémie Gindre, Tombola, Genève, Editions Zoé, 2023, 176 pages, 24 CHF.

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