Objet de lecture non identifié (O.L.N.I.)

Après la littérature pour enfants et un roman de science-fiction, Ploum – alias Lionel Dricot – explore un autre genre littéraire : la nouvelle. Son recueil Stagiaire au spatioport Omega 3000 rassemble une quinzaine de nouvelles toutes plus déjantées les unes que les autres, certaines datant de plus de vingt ans. L’auteur explose les limites temporelles et spatiales pour proposer des histoires de science-fiction qui nous projettent dans des futurs alternatifs.

Ploum nous envoie tour à tour dans un vaisseau spatial, dans une religion robotique, dans la conscience d’un clone, en enfer, dans le bureau d’un notaire, et on se laisse prendre. Chaque histoire parvient à nous téléporter dans un univers alternatif bien ficelé, qui nous laisse une impression trop précise pour n’être le fruit que d’une dizaine de pages. Le recueil fait renaître l’âge adolescent où les fantaisies n’ont pas de limites, où l’on imagine des aliens, des histoires robotiques intersidérales sans avoir peur de tomber dans le superficiel. Bien que la plupart du temps, la plume soit simple et ne se fasse pas nécessairement remarquer pour sa virtuosité, elle ne fait jamais défaut à la qualité des nouvelles.

Prenons en exemple la première nouvelle qui a donné son nom au titre du recueil : l’histoire d’un jeune Nathan Pasavan, premier homme à atteindre le grade de Madame-Pipi dans un spatioport. Le poste est d’importance, puisque les déjections de chaque race spatiale nécessitent leur propre méthode de nettoyage. Mais alors que le stagiaire est sur le point de revêtir ce titre officiellement, il expose à sa cheffe une solution qui mettrait fin à la ségrégation des sanitaires :

– Tu ne vois pas que tu es en train de tuer notre métier ! Notre prestige !

– Hein ?

– Si tu fais cela, c’est la fin des Madames Pipi ! Tu n’es certainement pas le premier à trouver cette solution. Mais celleux qui l’ont trouvée ont vite compris où était leur intérêt.

– Que veux-tu dire ?

– Regarde-les, me dit-elle en pointant la foule hétéroclite des employé·e·s du spatioport. La moitié d’entre elleux nous obéissent. Iels sont plombier·e·s, nettoyeur·euse·s, spécialistes en sanitaires différenciés. Leur job dépend de nous ! Tu ne peux pas simplifier la situation ! Pense aux conséquences !

Le style est simple, mais l’utilisation de l’écriture inclusive ajoute à l’histoire une dimension supplémentaire marquante et pertinente.

Le point fort du recueil : un auteur qui joue. Un auteur qui prend une machine à écrire, littéralement, et qui décide de construire un appareil de lecture technologique, personnalisé à chaque lecteur·ice.

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……………………………………………………. Identification réussie.

Ploum joue avec le passé, le présent et le futur et crée un O.L.N.I. qui divertit, intrigue et instruit en appelant l’esprit critique des lecteur·ice·s. Voilà un projet qui rendrait Rousseau ou La Fontaine fiers. Les scènes sont parfois absurdes, parfois drôles, parfois touchantes, toujours extravagantes et fascinantes.

Au-delà du divertissement, les nouvelles de Lionel Dricot imposent des réflexions sur l’actualité. La dimension satirique de l’ouvrage double chaque histoire d’une lecture dénonciatrice de l’ère numérique où Google et Facebook ont accès à nos informations. Certaines histoires peuvent faire penser à des fictions dystopiques de l’ordre de 1984 d’Orwell ou Les Furtifs de Damasio, simplifiées et condensées. La représentation d’un futur dicté par les technologies et les réseaux sociaux est d’autant plus prégnante qu’elle est produite par un auteur qui affiche son intérêt pour la circulation des informations et de la culture dans un système décentralisé. En témoigne notamment la publication de l’ouvrage sous la licence CC-BY SA, c’est-à-dire avec un droit de consultation, de modification et de commercialisation à condition que le nouvel objet soit publié sous cette même licence et accorde donc les mêmes libertés. « Echanger de la valeur sans centralisation, peut-être que c’est ça l’avenir » avait par ailleurs déclaré Ploum lors de son TedTalk à Louvain en 2017.

Stagiaire au spatioport Omega 3000, c’est frais et divertissant, c’est intriguant et surprenant, c’est parfois drôle, parfois sérieux, parfois les deux. Ça fait plaisir et ça fait réfléchir. Et en plus, Ploum veut bien qu’on invente des fins alternatives ou qu’on participe au texte. Et ça, c’est la nouvelle littérature.


Ploum, Stagiaire au spatioport Omega 3000 et autres joyeusetés que nous réserve le futur, Neuchâtel, Editions PVH, 2022, 208 pages, 15,20 CHF.

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